La nouvelle arme du RSCA

Sa présentation terminée, Pierre Léger éteignit le projecteur relié à son ordinateur portable et se retourna vers son auditoire, prêt à répondre aux questions. Sans le léger ronronnement du ventilateur, qui se poursuivrait encore quelques minutes, ont eût entendu voler une mouche.
Devant Pierre, les trois spectateurs attentifs échangeaient des regards, seul un léger sourire sur le visage du moins âgé trahissait l'impression favorable laissée par la démonstration.

Ce fut le Président qui prit le premier la parole.
-« Merci. C'est...fantastique. Et tout tourne sur un ordinateur. Que vous contrôlez avec cet objet-là ? »
-« Cela s'appelle une souris, Monsieur le Président.»
-« C'est incroyable, tout est là : les joueurs, les jeunes, les transferts, le staff, l'entraînement, les blessures, les matches et mêmes les réactions des médias. Qu'est-ce que cela nous apporterait en pratique ? »

Le Manager saisit la balle au bond.
-« On pourrait certainement diviser par deux la cellule de scouting, renégocier les salaires, engager un meilleur staff pour moins cher...sans parler du sportif : inutile de visionner l'adversaire et on peut tester diverses compositions d'équipes pour trouver la meilleure. Enfin cela remplacerait avantageusement un Directeur Technique.»

Le Secrétaire intervint.
-« Pour le scouting en Europe d'accord, mais je pense que pour des régions plus éloignées, comme l'Amérique Latine, d'autres éléments devraient être pris en compte, n'est-ce pas Monsieur Léger ? »
Léger sentit qu'on touchait un point sensible.
-« Bien entendu. La base de données comporte aussi l'Amérique Latine mais de façon moins détaillée. Il s'agit d'une aide appréciable mais un scouting classique reste indispensable. »
Le Secrétaire le remercia d'un bref sourire.
-« J'ai apprécié le remake des matches contre BATE Borisov. Mais selon votre logiciel nous aurions dû nous qualifier, non ? »
-«C'est vrai, il subsiste une part d'incertitude, en particulier dans la modélisation de l'arbitrage, mais j'attire aussi votre attention sur les différences dans la composition d'équipe, le quadrillage du terrain et le coaching en match. Ce sont les variables humaines, impondérables par nature.»

Le Manager intervint :
-« Dans votre programme, peut-on tester ce qui se passe si on aligne un joueur blessé ? Au genou, par exemple. »
-« On peut le faire, le logiciel modélise les blessures, leur guérison et...leur aggravation. »
-« Pourriez-vous faire en test, juste pour avoir un exemple ? Mettons Suarez, avec une lésion au ménisque, en déplacement au Cercle de Bruges ? »

Léger édita la base de données, la rechargea et lança le match. A la mi-temps Suarez, devenu indisponible pour quatre mois, avait été remplacé par Goor et le Cercle menait 1-0. Les réactions fusèrent.
-« C'est effrayant de réalisme. »
-« Ca me rappelle quelque chose. »
-« Je vous avais bien dit qu'il fallait aligner Goor d'emblée ! »

La discussion dura plusieurs minutes. A regret il fut décidé de ne pas aligner Suarez.
Léger saisit l'opportunité pour enfoncer le clou :
-« Vous voyez, vous tirez déjà profit du programme pour la gestion sportive. »
Le Président était perdu dans ses pensées. Depuis que son père, un connaisseur réputé, lui avait transmis son titre le club jadis prestigieux avait suivi une pente déclinante. Il y avait eu quelques bons moments mais la tendance générale était défavorable et le désarroi des supporters, clairement perceptible, se transformait en ressentiment contre la Direction. Il cherchait depuis longtemps une solution mais ses efforts n'avaient fait qu'aggraver la situation. Et si c'était ça ? L'occasion de rebondir, de prouver sa valeur, de montrer à tous –supporters et médias- qu'il avait qu'il avait hérité la vision footballistique de son père et été capable de faire entrer le club dans un nouveau siècle ?
-« Ce ...logiciel comme vous dites, nous le prenons ! Et tout de suite.»
Le Manager déposa sa calculette et enchérit :
-« Je suis d'accord avec vous. Cela coûte 120.000 € puis 12.000 € annuels mais je chiffre nos économies à plus de deux millions d'euros par an. Il faut saisir l'occasion. »

Le Secrétaire intervint :
-« Sans compter que les listes de joueurs en Amérique, Afrique et Asie peuvent donner des idées pour les voyages...je veux dire le scouting. »
Les trois hommes signèrent le contrat, en exigeant une installation dans les plus brefs délais.

Le contrat dans sa mallette, Léger se dirigea vers la porte, le cœur battant. Il crût défaillir quand il entendit la voix du Secrétaire Général :
- « Monsieur Léger, un instant je vous prie. »
Livide, il se retourna vers son interlocuteur. Celui-ci s'approcha et demanda à mi-voix:
-« Dites-moi, votre logiciel peut-il être adapté à un autre sport ? Comme le hockey par exemple ? »
Soulagé, Léger répondit que oui, pourquoi pas, mais que cela exigerait des développements et qu'il faudrait d'abord étudier la question. Bien entendu on ferait le maximum.
-« J'aimerais beaucoup disposer des droits exclusifs si cela était le cas. »
-« Oui Monsieur le Secrétaire, je comprends parfaitement. L'exclusivité. Vous avez ma parole. »

Dans la rue, Léger sentit vrombir le vibreur de son portable ; il vérifia le numéro puis décrocha.
« Salut. C'est fait : ils ont signé. Oui, tu avais raison. Je n'y croyais pas mais ça a marché. Bon, je te dois un gueuleton de première : Comme Chez Soi ou De Karmeliet, tu choisis. A tout à l'heure, je te raconterai ça en détail. Tu vas aimer. Ciao. »
Il repartit d'un pas rapide en se retenant de regarder derrière lui et disparut dans une allée du Parc Astrid.

Dans les bureaux du club, les trois membres de la direction, euphoriques, dégustaient une coupe de champagne bien méritée.
-« C'est fantastique ce qu'on arrive à faire de nos jours. Je n'avais encore jamais entendu parler de ce genre de produit. »
-« Moi je me demande si ce n'est pas celui qu'ils utilisent à l'AC Milan. »
-« Eh bien maintenant nous serons à armes égales, enfin presque. Il faudra un peu de temps pour mettre tout en place quand même. Messieurs, nous allons faire de grandes choses.»
-« Je propose de ne pas en parler aux médias. Laissons-les perplexes sur les causes de nos futurs succès. Ca leur apprendra. »
-« Bonne idée, ça. »
-« Il va quand même falloir engager un informaticien pour s'occuper de ce logiciel. Comment s'appelle-t-il encore ? » Ils retournèrent le boîtier.
-« Football Manager 2008 » Ca sonne bien en plus.



Comme dirait un ami : " vive rsca nondiju té "